Viateur, un saint peu connu
Le meilleur de la vie active de saint Viateur appartient à la seconde moitié de IVe siècle (entre 310 et 390 environ), moins de trente ans après les grandes persécutions sous Dioclétien (245-313).
L’Empire romain souffrait alors de division chronique, au point d’oublier ce à quoi pouvait ressembler un temps de paix. Arrive Constantin (280-337), gouverneur de la Gaule et de la Grande-Bretagne. Grâce à l’influence de sa mère (sainte Hélène), il se montre sympathique aux chrétiens. C’est toute une révolution!
Après de nombreux combats, il réussit à réunifier l’Empire et à y régner. C’est le moment où les fidèles, rassurés, se groupent autour de leur évêque, autant pour les nécessités du culte que pour l’organisation. On construit alors beaucoup d’églises. C’est sous Constantin, par exemple, qu’ont été édifiées dans leur première mouture, les basiliques Saint-Pierre de Rome et Saint-Paul-hors-les-murs,
Il n’existe pas de biographie d’époque de saint Viateur. C’est par des fragments de l’histoire de son évêque saint Just que nous le connaissons. Les biographes récents disposent aussi pour se guider des données de l’Histoire générale.
Ce que nous savons, c’est que Viateur était lecteur de l’Église de Lyon, qu’il était très attaché à son évêque, au milieu d’une population industrieuse, à demi christianisée. Nous savons aussi que Lyon était déjà la capitale de la Gaule et que l’évêque Just, son chef spirituel, jouissait d’une réputation solide, lui qui participa, au nom des évêques de la région, à au moins deux conciles à l’étranger.
Quant à savoir si Viateur venait d’une famille aisée et à quel âge il est devenu lecteur, à quel âge il est décédé, on nage dans les suppositions. On présume qu’il était nettement plus jeune que son mentor et que ses parents avaient les moyens de le faire instruire, les études étant le privilège des familles aisées à l’époque. L’apport d’une aide financière extérieure à la famille n’est toutefois pas, ici, à écarter.
En ces temps nouveaux, le lectorat est un ministère permanent. À son titulaire est confié le soin du Lectionnaire, précieux recueil des textes sacrés, Parole de Dieu qu’il proclame à l’ambon lors des cérémonies avant que l’évêque ne procède à l’enseignement du bon peuple.
Lui incombent en outre la conservation des livres saints – rares et d’autant plus précieux -, leur proclamation et, sans doute aussi, leur transcription. S’y ajoute la préparation des catéchumènes au baptême prévu dans la nuit de Pâques.
Quand vint le temps de fonder son Institut, le P. Louis Querbes (1793-1859) a bien vu dans ce très saint jeune homme un modèle capable d’inspirer ses maîtres d’école. Il n’y a rien là de surprenant.
Ce qui surprend par contre, c’est le départ précipité de l’évêque Just pour le désert avec l’intention, à défaut de connaître le martyre, de se refaire une sainteté chez les anachorètes. C’est du moins ce que croit Viateur à qui le vieil homme a fait des confidences. Que le droit d’asile accordé à l’évêque par le pouvoir civil ait été bafoué quelques jours plus tôt par les notables de la ville n’a été que l’élément déclencheur de ce départ précipité. Cependant, Viateur, esseulé, n’entend pas vivre éloigné de son maître. Il court le rejoindre à Marseille en partance pour l’Égypte.
Nous sommes en 381. Le moment est venu pour les deux hommes de se consacrer dans le plus parfait anonymat à l’oeuvre de leur sanctification personnelle. Le saint évêque mourra en 390, suivi de près par son compagnon. Des Lyonnais avaient fini par les retracer de leur vivant dans le désert de Scété à 60 km d’Alexandrie. Ils ont tenu plus tard à récupérer leurs ossements et à organiser le retour triomphant de ces saintes reliques au pays.
En choisissant saint Viateur comme patron de sa communauté, le P. Querbes n’a pas cherché longtemps ni dans la rareté, puisque le parcours de Viateur et son parcours à lui s’apparentent beaucoup malgré les quinze siècles qui les séparent. D’abord, ils sont tous deux Lyonnais, puis ils ont été formés à l’école cléricale de leur temps. Ils sont plus instruits que la moyenne de leurs concitoyens et ils s’occupent tous deux d’éducation et de liturgie.
Les périodes de l’Histoire qu’ils habitent ont été précédées de lourdes épreuves : les persécutions romaines dans un cas, la Révolution française dans l’autre. Et voilà qu’ils traversent maintenant, malgré quelques nuages, ce qui semble être un temps d’accalmie après la tempête.
Certes, le P. Querbes aurait pu proposer à ses religieux un modèle plus prestigieux : saint Irénée, par exemple, évêque de Lyon et docteur de l’Église, ou saint Louis de Gonzague, Jésuite. Non, il a choisi un humble lecteur qui a vécu toute sa vie à l’ombre de son évêque.
On trouvera peut-être que le tissu historique du IVe siècle est plutôt mince et que la vie de notre saint patron pourrait être plus détaillée. Mais l’historien vise une chose et l’homme d’action en quête de modèles à imiter vise autre chose.
L’historiographe cherche à établir la vérité de ce qui s’est vraiment passé, tandis que l’homme d’action, voulant se donner du coeur à l’ouvrage, s’intéresse au pouvoir évocateur de l’image. Il est vrai que la biographie de saint Viateur pourrait être plus étoffée, mais il reste que l’image proposée est parlante et ne laisse pas indifférent.
Le foisonnement des hérésies au IVe siècle force les défenseurs de l’orthodoxie à sévir contre certains néophytes qui, se fourvoyant, menacent le contenu de la foi. Saint Athanas, patriarche d’Alexandrie, doit s’expatrier à quelques reprises en raison de son tempérament un peu trop vif dans la discussion.
Un moment réfugié en Gaule, il en profite pour informer ses hôtes du “monachisme”, une école de sanctification personnelle fort prometteuse qui se développe en Égypte, à la suite de saint Antoine du désert (S. Antoine Abbé, 251-356), fondateur de la vie érémitique.
Force nous est de constater aujourd’hui que Just et Viateur ont vécu à un tournant majeur de l’Histoire de l’Église, car ils sont les parfaits contemporains d’un nombre impressionnant de Pères de l’Église.
On peut nommer Athanas, bien sûr (295-373), mais aussi Hilaire de Poitiers (315-367), Cyrille de Jérusalem (315-387), Basile le Grand (330-379), Grégoire de Nazianze (330-390), Grégoire de Nysse (331-394), Ambroise (337-397), Jean-Chrysostome (344-407) et même Jérôme (347-419) et Augustin (354-430). Tous ces éminents docteurs scrutent les livres saints et s’efforcent d’en dégager la vérité et la splendeur. On les consulte encore de nos jours, et avec profit.