La vie consacrée dans le contexte québécois actuel
Assemblée provinciale du 14 avril 2018 avec l’accompagnement du théologien Gilles Routhier.
Ce samedi 14 avril 2018, nous étions plus d’une soixantaine de Viateurs religieux et associés à participer à l’assemblée au cours de laquelle le théologien Gilles Routhier nous a entretenus sur la vie consacrée dans le contexte québécois actuel.
À la lumière des réponses qu’ont apportées les différentes communautés locales au Canada aux questions relatives à la contextualisation de la vie consacrée viatorienne au Québec, l’abbé Routhier nous a fait prendre conscience des défis qui se posent à nous aujourd’hui comme Viateurs et des chemins de lumière à travers ces obstacles qui se dressent sur notre route.
D’entrée de jeu, il fait état des divers points de vue à partir desquels, on peut regarder le contexte dans lequel se situe et se vit la vie consacrée au Québec :
- Le contexte peut être envisagé sous l’angle de la situation de la vie religieuse, sa vitalité et sa prospérité.
- On peut aussi le considérer en se référant seulement à la situation de l’Église au Québec.
- Finalement, le contexte de la vie consacrée peut être exploré à partir de la situation sociale et culturelle du Québec.
Dans cette tentative de compréhension et d’explication de la réalité, il importe d’éviter une double tentation à savoir :
- Penser le contexte actuel en comparaison avec une situation révolue, à partir de ce qu’on a connu, de ce qui manque, de ce qui n’est plus comme avant.
- Penser le contexte au regard de la situation de la vie religieuse au Québec ou de l’Église catholique au Québec.
Dans les deux cas, il y a risque d’une certaine forme de myopie, une déformation du regard nous engageant dans un jugement du présent à l’aune du passé et en nous plongeant dans l’autoréférentialité pour reprendre le terme du Pape François.
Tout est vu de l’intérieur à partir d’une centration sur nous-mêmes. Cette tendance à nous regarder d’abord est tout à fait naturelle puisque la mission de notre communauté est spatio-temporelle.
Contrairement à l’interprétation habituelle, le concept de mission ne se résume pas à ce que l’on fait mais renvoie plutôt à l’action d’envoyer.
Cette action nous oriente naturellement vers le milieu auquel nous sommes destinés. L’idée d’une relation à établir transcende donc celle d’une définition ou d’un énoncé de mission à trouver comme le veut la pratique courante.
Le concept de mission se comprend dans le rapport même de Dieu avec l’humanité.
Dieu envoie son Fils (Jn 3,16). La mission de l’Église doit se lire parallèlement à celle du Christ, non pas que l’Église se substitue au Christ.
Le passage de Lumen Gentium no 8 nous aide à situer la mission de l’Église en référence à celle du Christ :
Mission du Christ | Mission de l’Église |
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L’oeuvre rédemptrice du Christ est accomplie dans la pauvreté et la persécution. | L’Église est appelée à suivre cette même voie pour présenter les fruits du salut aux humains. |
Le dépouillement (la kénose) du Christ, Lui « qui est de nature divine s’est anéanti en prenant la condition du serviteur… » (Ph 2) | L’Église est établie non pour la recherche de la gloire terrestre mais pour prêcher l’humilité et l’abnégation. |
Le Christ a été envoyé par le Père pour guérir les coeurs brisés (Lc 4, 18), sauver ce qui était perdu… (Lc 19, 20) | L’Église entoure ceux que l’infirmité humaine afflige. Elle reconnait dans les pauvres l’image de son Fondateur pauvre et souffrant. L’Église embrasse la kénose du Christ. |
Le Christ n’a pas connu le péché mais est venu expier le péché de l’humanité. | L’Église, parce qu’elle renferme en son sein des pécheurs et qu’elle doit être toujours purifiée, recherche sans cesse la pénitence et le renouvellement. |
Il n’y a pas de vie consacrée en dehors d’un contexte. Pas étonnant donc que, préparant le chapitre général, notre congrégation entre dans cette démarche de contextualisation de la vie consacrée.
Elle cherche à écouter « ce que l’Esprit dit à l’Église aujourd’hui » pour paraphraser la lettre apostolique du Pape François à l’ouverture de l’année de la vie consacrée.
Nous sommes invités à lever les yeux et à regarder au dehors pour voir « ce monde qui est poursuivi par l’amour de Dieu ».
Il est vrai que nous sommes plutôt portés à nous replier sur nous-mêmes à cause de la diminution de nos forces qui limite notre rayon d’action et également en raison de la souffrance éprouvée face à l’hostilité du dehors. Nous avons la préoccupation de la survie.
C’est le NOUS (recensé au moins 28 fois dans les réponses des communautés) et non le ILS qui commencent la plupart de nos phrases. On est apparemment loin de la sortie missionnaire à laquelle nous invite le pape François.
Cela n’est pas surprenant car il est bien de ne pas refouler nos blessures. Nous devons partir de notre faiblesse. Le mot clé dans notre situation semble être « IMAGINER » car, il nous sort du déterminisme historique.
Dans notre situation, nous pouvons penser qu’il ne reste qu’un seul scénario possible : « aller vers la mort ». Ce n’est pas chrétien de penser qu’il n’y a pas d’autres avenues possibles et que nous sommes livrés au destin.
Nous sommes des fils d’Abraham. Nous devons nous interroger sur notre propre foi.
Il nous faut être existentiellement des hommes et des femmes de foi. Sans la foi, nous ne pouvons rien et nous ne ferons que nous engager dans la nostalgie, l’enfermement et la mort.
Être des enfants d’Abraham tendus vers la promesse. Voir le monde avec les yeux de la foi. Voilà l’appel que nous avons aujourd’hui.
Le défi est double : regarder le défi québécois et voir notre situation avec les yeux de la foi.
Il nous faut suivre le Christ dans notre situation de pauvreté, dans la foi vive et nue, dans le dépouillement.
Quels sont les défis du présent? Aller vers ceux et celles qui sont dans les marges comme nous y invite François :
- Les marginalisés en raison de la santé (physique ou mentale).
- Les marginalisés en raison de l’âge.
- Les marginalisés en raison du handicap.
- Les marginalisés en raison du statut de migrants.
Nous parlons de perte de crédibilité. Ne faudrait-il pas parler plutôt de crise de prophétisme?
Il nous faut être des experts en communion. Nous pouvons être au coeur de la société en émergence en vivant quotidiennement avec les marginalisés.
Pendant longtemps, on a pensé la présence de l’Église à travers des institutions catholiques : collèges, hôpitaux, paroisses… Il nous faut sortir de l’obsession du nombre pour « embrasser l’avenir avec espérance ». « On ne vous demande pas de faire nombre mais de faire signe » nous dit le Pape François.
Le conférencier, ayant mentionné un passage où un confrère parle de la nécessité de « projets neufs qui répondent aux besoins des gens et du temps présent », cela a suscité quelques agitations.
Certains confrères y voient un encouragement sans équivoque à se lancer immédiatement dans une aventure au Canada peu importe la réalité actuelle. Mais un confrère a fait référence à la parole de l’évangile qui veut qu’un roi ne part pas en guerre avec dix mille hommes pour affronter une armée qui en compte vingt mille (Lc 14,31-32). Monsieur Routhier a répondu qu’il est important d’être responsable et il conclut en disant :
Il est possible d’avoir vieilli, d’être diminué et d’être toujours présent au monde, pas simplement par des engagements, des emplois ou des œuvres, mais en vivant avec d’autres ou, mieux, en laissant d’autres vivre avec nous. Nous passons alors du faire au compagnonnage.
Notre communauté a vécu un moment de grâce qui nous éveille et nous interpelle. Monsieur Routhier nous a invités à « continuer et à reprendre toujours notre chemin avec la confiance dans le Seigneur. » Cela est inspirant pour la suite.
Nestor Fils-Aimé, CSV
Supérieur provincial
Source :
Bulletin d’information – Mai 2018 – No 211 (PDF).