La chaise curule
Le prochain épisode se déroule en pleine chapelle d’une résidence de Montréal. Pour pénétrer dans le lieu saint, les fidèles empruntent la porte du local pour se retrouver derrière l’autel. Ensuite, il y a un corridor soit à droite soit à gauche pour accéder à la chapelle.
Deux confrères, par un pur hasard, se présentent à l’entrée du local de la chapelle. Leur but premier est de prier le Seigneur, un but bien légitime en soi. Mais un but secondaire traverse leur esprit en même temps.
Ils désirent s’asseoir sur une chaise bien précise, et identique aux autres véhicules de la conversation1, située à l’arrière de la chapelle. Ce qui devait arriver arriva.
Il faut annoncer le privilège qui pousse les deux personnes à vouloir s’asseoir sur cette chaise bien particulière.
Un religieux, nommé le supérieur de ses pairs, prend l’habitude de s’asseoir durant les exercices de prières et durant la messe à cet endroit bien précis. Il est le seul à déposer sa masse moléculaire à cet endroit. Malheur à la personne qui ose prendre cette digne place. Elle doit partir immédiatement lorsque le supérieur se présente.
L’autre personne, qui revendique le privilège d’occuper cette chaise, est un ancien religieux de cette maison. Il avait pris l’habitude d’occuper ce fauteuil durant ses séjours à la chapelle. Mais depuis quelques années, il vivait dans une autre résidence à la suite d’une nomination du provincial, avant de revenir depuis peu dans son ancien alma mater.
Revenons maintenant à notre anecdote. En entrant dans le local, les deux hommes veulent sauvegarder leurs privilèges, leur droit de possession, leur droit d’aînesse en quelque sorte. Les deux hommes se préparent à entreprendre une course digne des coureurs de la Formule 1, en pleine chapelle.
L’un part à gauche, l’autre à droite. Ils arrivent en même temps l’un à droite de l’autel et l’autre à gauche. Une fois le virage terminé, ils se rapprochent pour parcourir l’allée centrale du lieu de culte afin de pouvoir prendre possession de la chaise curule.2
Il faut bien avoir en tête la condition physique des deux personnes octogénaires. La souplesse de leurs vingt ans est disparue, mais le désir d’obtenir une grande performance est bien présent dans leurs mouvements.
Si les pneumatiques des voitures se lamentent durant les virages de la Formule 1, ici ce sont les semelles des chaussures qui glissent sur le plancher et laissent entendre un chuintement inhabituel en ce lieu.
Si les mouvements des automobiles de la Formule 1 sont rapides, les mouvements de nos coureurs sans automobile vont au ralenti. À l’image des voitures de la Formule 1, qui parfois, frôlent les murs de trop près, nos deux coureurs bousculent les chaises de l’allée centrale.
Et la course prend fin, lorsque le plus ancien retrouve son droit d’aînesse qu’il ne veut absolument pas céder, malgré les palabres du supérieur, le vaincu en cette occasion.
Dans les jours qui suivirent, le supérieur prit possession, à long terme, de la fameuse chaise, après une discussion passionnée, en vase clos, avec son rival.
Wilfrid Bernier, c.s.v.