Funérailles de Jean-Paul Poulin – Homélie
Homélie par Bruno Hébert c.s.v.
Nota Bene – Textes liturgiques en bas de page.
Dans la première lecture que nous venons de proclamer, saint Paul nous recommande d’être raisonnable, d’être assez raisonnable pour ne pas être prétentieux. En un sens, il est prétentieux celui qui, entre autres, s’attribue des mérites qui ne lui reviennent pas.
Saint Paul nous rappelle l’obligation où nous sommes de reconnaître les dons de nature qui nous ont été octroyés, et d’en attribuer le mérite à qui de droit, non pas à nous, mais à Dieu seul, de qui nous les tenons. Nous les tenons par la voie de la génétique, certes, mais aussi par les grâces actuelles dont le Seigneur saupoudre notre agir au gré des événements vécus au jour le jour.
Puis l’Apôtre ne tarde pas à parler de ce qui doit nous unir. « Que l’amour fraternel vous lie, dit-il, d’une mutuelle affection. » Il nous invite à nous aimer les uns les autres, à « rivaliser d’estime » – rien de moins – les uns envers les autres. D’où l’importance de vivre heureux ensemble, autant que possible, mais dans le respect de nos différences, considérées non pas comme des obstacles à la bonne entente, mais comme des opportunités.
Chacun, tout en développant son appartenance au groupe humain, a hérité de particularités qui lui sont propres et qui en font un être à part, un être « pas comme les autres ». L’éducation, qui est notre lot comme religieux enseignants, vise à former le futur citoyen dans ses relations avec autrui, mais aussi à découvrir et à développer les traits de son charisme propre.
Bref, parler de la nature humaine, c’est parler de ressemblances et de différences, c’est, quand la vie commune tourne bien, parler d’enrichissement mutuel et de complémentarité.
Aussi en allait-il ainsi, jusqu’à tout dernièrement, de nos deux jumeaux, les Frères Jean-Paul et Henri-Paul Poulin. D’un côté, au physique, ils se ressemblaient à s’y méprendre – même faciès, même voix, mêmes manières, même habillement, le plus souvent même gréement, tandis que, d’un autre côté, il suffisait de les regarder travailler le bois, par exemple, pour réaliser qu’ils ne voguaient pas toujours à l’identique, que l’œuvre commune chez eux pouvait virer en un vigoureux champ de bataille, où la thèse initiale se colletaillait à une rude antithèse avant d’aboutir, après moult péripéties, à la synthèse rêvée.
Disons ici qu’il nous est difficile de parler de l’un des jumeaux sans parler de l’autre. Ils sont nés tous deux le 20 mars 1925 dans le rang Saint-Joseph à Grande-Baie au Saguenay, au sein d’une famille nombreuse vivant des travaux de la ferme.
Tous deux font leurs études primaires à l’école du rang avant de poursuivre au secondaire à notre collège de Roberval. Deux ans plus tard, Henri-Paul, le fonceur, entre au Noviciat de Joliette, suivi bientôt par Jean-Paul, le temporisateur. Un peu comme le Jésus vu par les pharisiens, les Poulin ne passent pas pour très instruits, mais ils rêvent de prêter leur concours à la bonne marche de la communauté.
Puis on les retrouve tous deux ici même aux ateliers de Jésus-Ouvrier en menuiserie, domaine qui les attire et pour lequel ils ont déjà développé quelque habileté.
Mais ce sera dans l’éducation qu’on les appellera à s’investir, d’abord prudemment, à la surveillance, à l’organisation des jeux, puis, progressivement, à l’enseignement proprement dit. Cette vocation nouvelle obligera les jumeaux à vivre éloignés l’un de l’autre, et ce, pendant les trente ans que durera leur carrière de professeur. Grâce aux études d’été du lac Priscault et aux cours de fin de semaine, ils réussiront à se gagner avec le temps les diplômes requis, côte à côte ou, parfois, chacun de leur côté.
J’ai partagé à deux reprises – deux fois six mois – la vie de Jean-Paul, les deux fois au temps de ma frêle jeunesse. C’était à l’École du Sablé de Saint Barthélemy. Nous étions quatre confrères la première année, trois la deuxième. Il s’agissait d’une école de village typique, peu de temps avant l’apparition du transport scolaire dans nos campagnes.
En plus d’enseigner à temps plein, Jean-Paul était préfet de discipline. Il ouvrait l’école le matin, assurait la surveillance, organisait les jeux, tenait et entretenait la patinoire en hiver, laquelle était d’ordinaire ouverte aux gens du dehors. Bref, il assurait la tâche bien connue dans nos écoles de campagne du factotum, de l’homme à tout faire, tâche absorbante, qui nécessitait du jugement et de bonnes réserves d’humanité, tâche tout à fait dans la ligne du projet du Père Querbes, notre fondateur.
Je dois dire que Jean-Paul s’en tirait très bien dans ce défi multiforme. Certes, il n’était pas l’homme des cérémonies; les politesses à n’en plus finir n’étaient pas dans son genre. Sa méthode, c’était la ligne droite. Ses interventions étaient franches et directes. Il jouissait d’un bon sens pratique et les gens appréciaient sa simplicité. Le tout accompagné de sa bonne humeur et de son rire saccadé, ce qui ensoleillait nos contacts. Sans oublier qu’il avait la tête dure; lorsqu’il entreprenait quelque chose, c’était pour aller jusqu’au bout.
Jean-Paul venait, grâce à Dieu, d’une famille nombreuse, ce qui était déjà une importante école d’apprentissage. Il a connu de nombreuses nominations conformément à la discipline religieuse du temps. Il a traversé dans notre histoire québécoise une période de changements sans précédent, ce qui l’a amené un jour à partager le gite et l’amitié des frères maristes à Chicoutimi-Nord pendant six ans.
Le moment est venu aujourd’hui, à l’occasion de l’événement qui nous rassemble, de souligner son entrain et sa générosité, et de remercier le Seigneur de tout ce qu’Il lui a permis de réaliser au cours de ses 89 années de vie. Mine de rien, par beau temps comme par mauvais temps, Jean-Paul est resté fidèle à ses engagements.
Que Dieu soit à jamais loué de nous l’avoir donné. Amen !
Jeudi, le 4 décembre 2014
Textes liturgiques
Lettre de Saint Paul aux Romains (Rm 12,3-8)
Au nom de la grâce qui m’a été donnée, je dis à chacun d’entre vous : n’ayez pas de prétentions au-delà de ce qui est raisonnable; soyez assez raisonnable pour ne pas être prétentieux, chacun selon la mesure de foi que Dieu lui a donnée en partage. En effet, comme nous avons plusieurs membres en un seul corps et que ces membres n’ont pas tous la même fonction, ainsi, à plusieurs nous sommes un seul corps dans le Christ, étant tous membres les uns des autres, chacun pour sa part. Et nous avons des dons qui diffèrent selon la grâce qui nous a été accordée. Est-ce le don de prophétie? Qu’on l’exerce en accord avec la foi. L’un a-t-il le don du service ? Qu’il serve. L’autre celui d’enseigner? Qu’il enseigne. Tel autre celui d’exhorter? Qu’il exhorte. Que celui qui donne le fasse sans calcul. (-) Que l’amour fraternel vous lie d’une mutuelle affection; rivalisez d’estime réciproque. D’un zèle sans nonchalance, d’un esprit fervent, servez le Seigneur.
Évangile selon saint Jean (Jn 7,14-18)
Alors qu’on était déjà au milieu de la fête Jésus monta au temple et se mit à enseigner. Les Juifs en étaient surpris et disaient : Comment est-il si savant, lui qui n’a pas étudié? Jésus leur répondit : Mon enseignement ne vient pas de moi, mais de Celui qui m’a envoyé. Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il saura si cet enseignement vient de Dieu ou si je parle de moi-même. Qui parle de lui-même cherche sa propre gloire; seul celui qui cherche la gloire de celui qui l’a envoyé est véridique et il n’y a pas en lui d’imposture.