Hommage – Funérailles du P. Yves Beaulieu, c.s.v.
YVES BEAULIEU (1937-2023)
Homélie
La nouvelle du décès d’Yves ne m’a pas surpris outre mesure, mais honnêtement, elle m’a
causé un grand chagrin. La perte de personnes qui ont été des phares, des mentors dans notre
vie et le laisser-aller de grands amis créent de profondes blessures dans notre humanité, dans
notre foi solide et fragile à la fois. La mort de personnes chères laisse toujours une marque qui
crée de la solitude. Et cette solitude, n’est-elle pas le berceau de la vie, à ses premières et
dernières heures ?
Je me suis mis tout à coup à repenser à ce qu’était Yves dans ses meilleures années, aux nombreuses personnes qui ont été marquées par ce talent immense d’animateur, aux jeunes de l’ACLÉ qui ont été touchés par ce Viateur qui incarnait comme pas un la passion pour la jeunesse et le désir de leur transmettre la flamme d’un Évangile accueilli, vécu et célébré. Alors, je me suis mis à sourire, comme une action de grâce spontanée qui ressemblait tellement à sa façon d’être.
J’ai revisité aussi toutes ces années de travail en pastorale paroissiale ici dans le diocèse de Valleyfield. Yves a longtemps oeuvré à Ormstown. Il a profondément aimé les gens de ce milieu et cette étape de sa vie aura imprimé au plus profond de son coeur ce que notre Pape aime appeler « la joie de l’Évangile ».
Avec plusieurs autres confrères, dont le regretté Hubert Hamelin, son compagnon de noviciat et
ami, nous formions alors un projet viatorien appelé « le triangle ».
Que de fois, au cours de ses dernières années, lors de mes visites, Yves me reparlait de ce
temps merveilleux d’une belle et féconde originalité, une créativité pastorale dont notre
communauté peut être fière.
Je repense aussi à Mgr Lebel, évêque de Valleyfield à cette époque, qui d’un humour toujours
raffiné, avait un jour offert à Yves une pipe qu’il avait lui-même sculptée. D’un sourire taquin, la
remettant à Yves, il lui dit : je te la donne parce que je t’aime bien, mais elle sera aussi utile à
chaque fois où tu auras envie de « chialer » un peu trop sur le dos du diocèse; le tout s’envolera
alors un peu plus vite en fumée… Tout comme nous, Mgr Lebel connaissait bien certains traits
de caractère de ce cher Yves.
Yves, l’animateur doué auprès des jeunes; Yves le pasteur aimé et dévoué; Yves celui qui, à
toutes les étapes de sa vie et dans tout ce qu’il faisait, était à la fois mû par un désir profond de
bien faire, mais aussi une inlassable crainte de ne pas pouvoir y arriver. Ceux et celles qui l’ont
côtoyé de près savent à quel point Yves vivait de précieux moments de joie intense, mais aussi
de douloureuses phases de doutes, de craintes qui assombrissaient ses jours.
C’est en pensant à cette facette de sa vie que le merveilleux texte de Qohélet s’est imposé
comme la toile de fond de sa vie. Il y a un moment pour tout et un temps pour chaque chose
sous le ciel, dit le prophète. Il y a un temps pour pleurer, un temps pour rire; un temps pour
gémir, un temps pour danser. Laissons résonner dans notre coeur cette cadence de vérités et
elle nous reliera au fil de la vie d’Yves qui nous entraîne vers son Dieu qu’il côtoie désormais
intimement.
La beauté d’un coeur vrai suffit à Dieu !
S’il nous a inscrits sur la voie de la perfection et de la sainteté, ce n’est pas pour que nous
devenions ainsi hâtivement, mais pour que toutes les dimensions de notre humanité fassent
route avec nous jusqu’à ce que le Père nous ouvre tendrement les bars et nous dise: te voici, tu
as été fidèle !
La vérité de l’aventure humaine plaît aussi à Dieu !
Un peu par imagination fertile ou par curiosité, lorsqu’un grand ami me quitte, j’aime penser à
ce qu’a été la rencontre avec son Dieu. Je vois le regard attentif d’Yves, son esprit créateur et
artistique s’émerveiller devant ce Dieu Père qu’il a tellement aimé et bien servi, sa sensibilité
éprise d’une immense joie à la rencontre de celles et ceux disparus qu’il a pourtant continué à
porter dans son coeur. Je vois alors Jésus, le Fils du Père, lui faire signe de s’asseoir à ses côtés
et se penchant vers lui, il lui raconte ce qu’il avait confié 2 000 ans plus tôt à ses disciples :
Yves, regarde les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils n’amassent pas
dans des greniers, et ton Père céleste les nourrit. Toi, ne vaux-tu pas beaucoup plus
qu’eux ?
Yves, vois comment poussent les lys des champs : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas.
Or je te dis : Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’était pas habillé comme l’un
d’entre eux.
Et Yves de conclure les yeux brillants, délestés de toute tristesse, crainte ou regret : Seigneur,
ces paroles d’Évangile que tu me rappelles, ce sont elles que je chantais et que je dessinais
lorsque ma confiance accusait un pas ralenti. La beauté et la fragilité de ces lys des champs, la
liberté et confiance des oiseaux du ciel, ce sont elles qui ont supporté ma foi et qui m’ont
conduit jusqu’à toi.
Et le Père de dire de sa voix affectueuse : viens mon fils, ta place est ici, près de moi!
Alors Yves s’avance résolument sur la voie céleste du paradis, mais tout à coup le Père le retient
pour une dernière question : un instant Yves, j’espère que tu n’as pas oublié d’apporter un
objet précieux : la pipe que Mgr Lebel t’avait sculptée… juste au cas où le naturel reviendrait au
galop et que tu aies encore besoin de faire un peu de fumée…
À Dieu, mon cher ami. Veille sur nous sur toutes les personnes que nous aimons !
Alain Ambeault, csv
14 avril 2023