Joliette et les Beaux-Arts

Introduction

Si Joliette jouit d’une belle renommée du côté de la musique et des beaux-arts, c’est principalement à cause de son Collège – qu’on l’appelle Collège Joliette (1846-1904), Séminaire de Joliette (1904-86), Cégep de Joliette (1968…) ou Académie Antoine-Manseau (1986…).

Les générations se sont succédé, animées par quelques maîtres au dynamisme contagieux, ce qui a permis à des rejetons d’essaimer et à des compétences de l’extérieur de venir féconder le milieu. Traçons l’image des principaux agents de ce rayonnement dans le domaine des beaux-arts.

La naissance de Joliette

Joliette est née dans un tournant rapide de la rivière l’Assomption à cinq kilomètres au nord du village de Saint-Paul. C’est là que le notaire Barthélemy Joliette (1789-1850), entrepreneur forestier très actif dans le commerce outre-mer, conduit une centaine de bûcherons en 1823 pour y faire chantier.

Puis, il fait construire sur la rivière nouvellement harnachée une scierie et un moulin à farine, promesses d’avenir. Peu d’années après l’apparition des premières maisons, on ne parle plus d’un chantier mais d’un village. À ce village, il donne le nom de L’Industrie, toponyme qui dit assez son intention. Il s’y fixe à demeure en 1828.

Construction d’un collège

En 1842, on inaugure l’église paroissiale érigée à ses frais sous le vocable de Saint-Charles-Borromée, patronyme choisi par Mgr Bourget en l’honneur de Mme Joliette, la seigneuresse Marie-Charlotte de Lanaudière.

Puis le fondateur couronne son œuvre par la construction d’un collège dont il confie la direction, un an plus tard, aux religieux français promis par Mgr Bourget. Il s’agit de trois Clercs de Saint-Viateur arrivés chez nous le 28 mai 1847 et rejoints deux mois plus tard par deux de leurs confrères.

Les Viateurs et les beaux-arts

Or, c’est dès cette année-là, en ce Collège, qu’apparaissent chez nous les premiers signes d’une sensibilité aux beaux-arts. Grâce à la dissolution d’une communauté religieuse naissante à Chambly, les Petits Frère de la Croix, voués à l’éducation, les Viateurs ouvrent un noviciat à peine trois mois après leur arrivée et ils héritent de neuf postulants sans guère avoir eu à les recruter.

Parmi ces rescapés se cache un jeune homme de 17 ans plein de talents, déjà ouvert à la musique et aux beaux-arts, ce qui n’est pas commun à l’époque. Il s’agit de Louis Vadeboncœur (1831-96), natif de Saint-Hilaire de Rouville.

Louis Vadeboncœur

Cette recrue connaîtra une carrière de 49 ans, consacrée presque exclusivement au Collège Joliette. Préfet de discipline, il agit aussi comme professeur de piano et de dessin, maître de chorale, arrangeur et compositeur.

Il finira par fonder la fanfare, puis l’orchestre du Collège. Côté beaux-arts, « il a crayonné de nombreux plans de chapelles, d’autels, de retables », lesquels ont inspiré, entre autres, les architectes de la chapelle du Collège (1882-83) et ceux de la nouvelle église St-Charles (1887-89), la future cathédrale. Il s’adonne aussi à la sculpture d’ornement. Comme il ne signe jamais ses œuvres, il nous est difficile aujourd’hui de les repérer. Une chose est certaine, il a marqué plusieurs générations d’étudiants, comme nous verrons.

Joseph Michaud

Le 20 octobre 1848 entre au Noviciat Joseph Michaud, 26 ans, personnage peu expansif, plutôt timide, mais déjà formé. Il vient de Kamouraska, une région où l’on trouve à l’époque, au dire d’Arthur Buies, une population intelligente et plus délurée que partout au Québec.

Or, voilà qu’en début d’adolescence, Joseph perd son père et sa mère, ce qui le force à retarder son entrée au cours classique. Il finit par étudier au Collège de La Pocatière de 1838 à 1846, entre autres, sous l’aile de l’abbé Thomas-Benjamin Pelletier, en physique et en dessin industriel. Il subit sans doute aussi l’influence d’Edward Carroll Ennis, époux d’une de ses sœurs, spécialiste en moulins hydrauliques. Refusé à la prêtrise par Mgr Signay faute d’anglais, Joseph Michaud enseigne deux ans sans soutane à son Alma Mater avant de joindre nos rangs en 1848.

Or, cet homme se signale d’abord comme professeur de sciences. En 1858, les supérieurs l’envoient établir le Collège de Rigaud sur la colline, coup d’envoi de ce qui deviendra une étonnante carrière en architecture. Il part ensuite avec deux compagnons seconder Mgr Demers comme éducateur à Victoria sur la côte du Pacifique. Pour s’y rendre, il faut passer par le détroit de Panama – une expédition d’un mois. L’engagement durera trois ans. C’est là qu’il sera ordonné prêtre en 1860 à 38 ans et qu’il assurera la construction de la première cathédrale de l’endroit, une bien modeste chapelle.

La polyvalence du personnage n’est pas sans attirer l’attention, car, s’il s’intéresse à l’architecture, il fera aussi sa marque comme physicien, chimiste, géologue, astrologue, numismate, tourneur et sculpteur sur bois. Et c’est lui qui partira le musée de sciences naturelles du Collège. Conjugué avec l’effet Vadeboncœur, il est facile de comprendre, l’impact de sa présence auprès des jeunes. Comme architecte, il ne manquera pas de travail, c’est sûr, surtout que la commandite sait qu’elle peut compter sur sa compétence et de bonnes marges de bénévolat.

Son œuvre en architecture sera considérable, d’autant plus qu’il a la réputation de bâtir solide. Joliette lui doit son club social appelé l’Institut, l’édifice du marché, la chapelle Saint-Joseph, la chapelle Bonsecours et l’aile de briques du Collège.

Il a conçu ou consolidé une dizaine d’églises dans la région : Sainte-Mélanie, par exemple, Saint-Norbert, Saint-Liguori, etc. mais aussi jusqu’au Vermont : Winooski et Burlington. Nous lui devons un certain nombre de couvents et de presbytères et, pièce majeure de son entreprise, la cathédrale de Montréal que Mgr Bourget rêve de voir édifier sur le modèle de la basilique Saint-Pierre.

Envoyé à Rome en 1868 comme aumônier des zouaves pontificaux, il en profite – c’est l’autre côté de sa mission – pour transcrire les plans de la basilique en vue d’en réaliser une maquette. L’entreprise (15’x10’x9′), d’une incroyable précision, réussit à merveille, avec l’aide du F. Onésime Poiriault, ébéniste, et d’un élève doué.

Plus qu’un lieu, un véritable milieu

Grâce à l’influence des Michaud et Vadeboncœur, et d’autres maîtres que nous ne nommerons pas, le Collège Joliette devient mieux qu’un lieu, un véritable milieu, apte à fertiliser en toute liberté les natures prometteuses. De plus, des artistes de l’extérieur enrichissent Joliette de leurs œuvres : Antoine Plamondon, Georges Delfosse et Ozias Leduc en peinture; Philippe Hébert, Olindo Graton et Alfred Laliberté en sculpture. Et la musique, le théâtre et l’écriture ne sont pas laissés en berne.

Malgré les difficultés trop connues de la vie d’artiste, certains finissants choisiront d’y faire carrière : Anatole Parthenais en sculpture, Bernardin Rioux et Norbert Chapedelaine en peinture, Martin d’Angeville Dostaler et Alphonse Durand en architecture.

Anatole Parthenais

Anatole Parthenais (1839-64) étudie au Collège de 1848 à 1856. Tout jeune, il s’illustre en sculpture, notamment dans la miniature. Il va étudier à Paris (1860-63) où il réussit à épater les Français, couronné qu’il est à trois reprises par l’École impériale des Beaux-Arts. Malheureusement, à peine revenu d’Europe, il succombe à la maladie le 27 décembre 1824 à l’âge de 25 ans.

Jean-Bernardin Rioux

Jean-Bernardin Rioux (1835-1921), lui, vient de Trois-Pistoles. Il étudie d’abord à La Pocatière, puis six ans au Collège Joliette, où il se découvre un penchant pour la peinture. Ordonné prêtre en 1867, il sera, entre autres, fondateur de la paroisse de Sainte-Monique (Deux-Montagnes), et curé de Saint-Henri (Montréal).

Son ministère ne l’empêche pas de prêter son concours de peintre aux églises en construction. Nous lui devons, par exemple, les murales de la chapelle du Collège et le tableau La Mort de saint Joseph de la future cathédrale de Joliette. Les évangélistes de la coupole de la cathédrale Saint-Jacques sont de lui, de même que des travaux aux églises de Varennes, Mascouche et Blainville. Il a même trouvé le temps d’aller étudier deux ans à Rome sous la coupe du peintre Bioro Vini.

Norbert Chapedelaine

Norbert Chapedelaine (1859-1926), lui, vient de St-François-du-Lac. Il entre en communauté comme frère convers, pratique et enseigne la cordonnerie aux sourds-muets. Initié par le F. Vadeboncœur, il s’intéresse à la peinture.

Église et collège - JolietteIl orne en 1890 le parloir du Collège de murales remarquables, dont une vue panoramique à vol d’oiseau, bien avant l’invention de l’avion, de l’église et du collège de Joliette. Il crée un rideau de scène et des décors de théâtre, invente même un dispositif de report d’image.

Il quitte la congrégation après douze ans et passera plus tard au clergé séculier. La suite de ses travaux et de sa vie nous est mal connue. Il en va de même de Martin d’Angeville Dostaler, lequel aurait été, à ce qu’on rapporte, un excellent architecte.

Alphonse Durand

Alphonse Durand (1859-1937) sort, lui aussi, des mêmes labours. Avec la complicité du P. Cyrille Beaudry, apparenté à sa mère, il fait son classique à Joliette malgré le peu de ressources de la famille. Une fois adulte, il va étudier la sculpture à Boston où il rencontre Marie Schwerer, une Alsacienne, sculpteur elle aussi, qu’il épouse en 1883. Tous deux travaillent à la réalisation du fabuleux chœur de la chapelle du Collège tout de bois sculpté. Ils tiennent atelier à Joliette, ouvrent une succursale à Montréal, mais, hélas, y connaissent la faillite en 1889.

Férus d’aventures, ils passent ensuite dix ans dans le vaste monde, attirés, entre autres, par la ruée vers l’or sur la côte du Pacifique. On les retrouve plus tard en Europe, surtout en France, avant de les revoir à Joliette en 1901 où ils s’établissent définitivement. Ils y fonderont un atelier de sculpture où, entre autres, ils « usineront » les bancs de la cathédrale, bancs ornés de sculptures. Avec le temps, Alphonse Durand penchera du côté de l’architecture.

Plusieurs édifices publics de Joliette sont de son talent : l’École industrielle, l’usine de pompage, l’Hôtel de Ville, le Cinémato de la rue Saint-Paul, l’Hôtel des Postes, l’Arsenal, l’aile des professeurs du Séminaire et l’agrandissement de l’Évêché. À l’extérieur, on a requis ses services pour le couvent de Boucherville, l’aile principale du Collège de Rigaud, le Palais de Justice de Trois-Rivières, l’École industrielle de Shawinigan et le presbytère de Saint-Roch. Sans oublier la part la plus remarquable de son œuvre, à lui et à sa dame : la douzaine de superbes résidences dont ils ont doté Joliette, résidences, jalousement conservées qui font l’orgueil de la cité.

Wilfrid Corbeil

Wilfrid Corbeil c.s.v.Marie Schwerer meurt en 1936, Alphonse Durand en 1937. Or, en 1937, un professeur du Séminaire, du nom de Wilfrid Corbeil, est un artiste déjà en piste, à croire que la filiation joliettaine du côté des beaux-arts est appelée à se perpétuer. Wilfrid Corbeil (1893-1979) coule son enfance à St-Lin-des-Laurentides. Jeune, il montre déjà de nettes dispositions pour le dessin.

Il est même gazetté dans La Presse à l’âge de 12 ans. Après ses années de collège (1905-1912), il entre chez les Clercs de Saint-Viateur, accède au sacerdoce en 1918 et devient professeur régulier au Séminaire. En 1925, il s’inscrit en Lettres anciennes – deux ans à Montréal et deux ans à Paris. Il en profite pour s’ouvrir, autant qu’il peut, au domaine des arts.

Avec les années, notre confrère finit par toucher à beaucoup de choses : il est peintre, sculpteur, architecte, organiste, éducateur, débatteur, collectionneur, incomparable animateur des arts dans la région. Il se fait d’abord connaître au théâtre avec ses flamboyants décors. Le théâtre à ciel ouvert du Pageant de 1947, qui célèbre le centenaire de l’arrivée des Clercs de Saint-Viateur au Canada, constitue son sommet dans le domaine.

Mais pour lui-même, Wilfrid Corbeil est d’abord un peintre. En 1935, il accouche d’une série de dix encres rehaussées de gouache illustrant le Séminaire et ses alentours. Puis, presque tous les ans, il expose les gouaches et les huiles de ses randonnées d’été dans Lanaudière, Charlevoix, la Gaspésie… De sa palette ensoleillée, épicurien du pinceau, il développe dans ses paysages une sorte d’esthétique de la splendeur. Ce qui l’amènera, dans la soixantaine, à se lancer dans de vastes murales, soit celle de l’église de Rawdon (1956) et les deux du Scolasticat (1964-65).

Pendant toutes ces années, Corbeil n’oublie pas qu’il est aussi un éducateur. À ce chapitre, retenons trois initiatives : son studio d’art hors classe qu’il ouvre aux étudiants en 1930, la création du journal L’Estudiant en 1935 et les expositions d’artistes connus qu’il organise à partir de 1940. Il illustre L’Estudiant de gravures réussies de ses élèves, manière de nourrir leur appétit. En exposant les Fortin, Gadbois, Lyman, Mounth, Masson, Borduas et Cie, il vise aussi à initier le commun des élèves aux secrets du langage pictural.

Finalement, c’est l’architecture qui finira par prendre le plus de place dans son œuvre. Bien au fait du renouveau de l’art sacré en France, il revient d’Europe en 1929 la tête pleine d’idées nouvelles et les occasions de les appliquer ne manqueront pas.

Deux projets se présentent à lui dans les années 30, deux réussites : la chapelle en bois rond de Clermoutier au 8e Lac de Chersey et celle, modernisée, de notre Scolasticat de théologie de Base-de-Roc. Mais le défi qui l’engagera comme jamais, ce sera la reconstruction du Noviciat St-Viateur de Joliette incendié dans la nuit du 26 février 1939. Ce projet l’occupera beaucoup et sera l’une de ses grandes réussites.

Le nouveau Noviciat emprunte son extérieur en l’adaptant à une abbaye romane du XIIe siècle, St-Georges de Boscherville, près de Rouen. Quant à son dedans, dans le hall d’entrée, il adopte l’Art déco, une manière inspirée du cubisme et de l’Art nègre, qui favorise la simplicité des formes et le respect de la nature des matériaux. Un art, en outre, qui aime faire appel à d’autres disciplines. La pièce majeure de l’entreprise, la chapelle, est une réplique adaptée de l’église paroissiale de Frielingsdorf près de Cologne, œuvre de Dominikus Böehm (1935).

Corbeil réussit à conjuguer l’ancien et le nouveau, en tout respect dû au langage de l’un et de l’autre. Il fournit, en outre, du travail à plusieurs artistes : Marius Plamondon pour les vitraux et l’ornementation sculptée, Jean-Marie Gauvreau à l’École du Meuble pour le mobilier du chœur, Sylvia Daoust et Gaétan Therrien pour la statuaire.

Les tombeaux d’autel sculptés sont réalisés, l’un par Louis Parent, l’autre par Elzéar Soucy, tandis que l’orfèvrerie a été élaborée dans nos ateliers par des confrères selon les idées du P. Corbeil et des emprunts à Fernand Py et Marcel Dupond. Quant aux rampes et aux portes grillagées, elles ont été exécutées par Albert Langlois, forgeron de la région de Châteauguay, toujours sur des dessins du P. Corbeil.

Cette collaboration préparera sans doute la création en 1946 du Retable, une association d’artistes voués à l’art sacré. Il s’agit d’une initiative du P. Corbeil et d’un prêtre français, André Lecoutey, ancien élève de Maurice Denis et de Georges Desvallières, rattachés depuis 1946 au Séminaire.

Diverses réalisations s’ensuivront pour notre confrère : le sanctuaire marial de Nicolet, celui de La Ferme en Abitibi, la Nonciature apostolique d’Ottawa, la chapelle du cardinal Léger, le Séminaire de Hearst, l’église de l’Andrienne, l’agrandissement du Scolasticat Saint-Charles, sans oublier quatre chapelles d’été au nord de Joliette et quelques projets achevés sur papier, mais non réalisés. À partir de 1950, tous les ans, il consacrera novembre et décembre à créer de superbes crèches de Noël, autant pour les places publiques que pour les églises.

Un mot, enfin, de Corbeil le « muséologue ». Le chanoine franco-américain Tisdelle, un ancien du Collège, a rassemblé avec les années une collection d’art faramineuse, allant du coffre funéraire étrusque à Auguste Rodin en passant par la statuaire médiévale et un étalement d’œuvres de siècles plus récents.

Sans postérité, le prélat décide de se retirer chez nous et de se départir de son bien au profit de la congrégation. Conséquence : la collection Tisdelle enrichit la collection du Séminaire. Toutes deux serviront de base à la création du Musée d’art de Joliette, dernier coup d’éclat de Corbeil l’octogénaire, rude édifice de sa composition qu’on inaugure en 1976.

Maximilien Boucher

Le Père Corbeil avait quitté l’enseignement en 1950 à 57 ans, avec la ferme intention de poursuivre sa vie d’artiste – ce qu’il fit d’emblée. Le P. Maximilien Boucher c.s.v. (1918-75) le remplace, qui relance le studio d’art et donne même des cours au public joliettain. « Le Père Max », comme on l’appelle, est né à St-Damien-de-Brandon.

« Timide et intérieur, il préfère dans sa jeunesse le dessin aux jeux bruyants de son âge. » Élève au Séminaire, il suit un an les cours du P. Corbeil. Ordonné prêtre, il se destine à une carrière d’artiste éducateur, passe trois ans à l’École des Beaux-Arts de Québec, subit l’influence de Marius Plamondon et de Henri Charlier.

Se sachant peu éloquent, il n’entre jamais en classe que surpréparé. Il compense cette limite par la qualité de ses contacts personnels et la distribution de notes de cours d’une grande qualité. Il illustrera un jour de belle façon les cahiers de sciences naturelles du F. Léo Brassard, l’un sur les Animaux, l’autre sur les Plantes. À la création du Cégep, il fonde avec Gaétan Therrien et Marcel Ducharme le département d’Arts plastiques, département qui se bâtit, avec les années, une réputation enviable.

À son travail d’éducateur, il joint une carrière très active de sculpteur. Taillé comme un Hercule, ce n’est pas la pierre qui l’effraie, ni le bois. En 1966, il participe avec son ami Gaétan Therrien au Symposium de sculpture organisé par la ville. Il se méfie de sa virtuosité naturelle, favorise en sculpture le dépouillement, la simplicité. Son idéal : en arriver à exprimer beaucoup avec peu.

Le Christ en croix de 19 pieds, en bois, qu’on retrouve aujourd’hui à l’église du Christ-Roi de Joliette, témoigne de son talent,de même que celui de 10 pieds du Collège de Matane, conservé aujourd’hui au Musée du Québec. Huit crucifix de dimensions plus modestes, bien que très variés de conception, servent la même cause. Retenons de plus une dizaine de madones presque grandeur nature, tenant dans leurs bras des petits Jésus tout ébaubis.

En peinture comme en dessin, le P. Boucher explore à coups de travaux sur pellicules et d’études géométriques à l’acrylique, de nouvelles façons de s’exprimer. Il s’amuse, en outre, avec ses amis à la peinture collective. Des jeunes et des moins jeunes ont profité de la qualité de sa présence. En novembre 1975, à la stupéfaction de tous ceux qui l’ont connu, il décède à 58 ans des suites d’un accident de la route.

Gaétan Therrien

Tandis que son ami Gaétan Therrien (1927-2005) s’est joint à l’équipe du Séminaire en 1962. Natif de Drummondville, il s’est formé aux Beaux-arts de Montréal sous Alfred Laliberté d’abord, puis Sylvia Daoust et Armand Filion. Il part, en outre, pour la France en 1952-53 partager les ateliers d’Ossip Zadkin et de Marcel Gimond.

En plus de ses années d’enseignement au Collège, il réalise au-delà de 200 œuvres sculptées, dont la moitié au moins taillées dans la pierre. Sa visée est assez proche de celle du P. Boucher. Ce qui l’intéresse, c’est le primitif, l’essentiel, qu’il faut savoir dépouiller du superflu.

Il consacrera une part importante de son œuvre à l’art sacré, pièces qu’on retrouve dans quelques églises : Saint-Bernardin-de-Sienne à Montréal (1956), par exemple, et le Christ-Roi à Joliette (1977…). Subsistent également de lui deux monuments publics, l’un à Joliette (1966), l’autre à Laval devant la Maison des Arts (2005). En tout respect du patrimoine, on lui confie en 1992 la restauration de la statue du Sacré-Cœur,œuvre de Thomas Carli, qui domine l’édifice du Collège depuis plus d’un siècle. Puis Gaétan Therrien prend sa retraite de l’enseignement, et ce, pour mieux poursuivre son œuvre.

Conclusion

Fermons là-dessus le livre de cette part mémorable de notre histoire. Si nous avons parlé du tronc de l’arbre, nous avons peu parlé de ses branches, encore moins de ses feuilles, qui sont pourtant nombreuses.

Mais l’exemple du Collège de Joliette et de la communauté viatorienne illustre bien, croyons-nous, l’importance du rôle des institutions dans l’œuvre de support et de diffusion du travail des artistes. Car si l’artiste crée dans la solitude, il a besoin de communiquer ce qu’il invente, il a besoin du support de l’institution, créatrice d’événements, dont le rôle est de soutenir l’effort individuel à long terme.

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