Pertinence et avenir de la pastorale auprès des sourds du Grand Montréal
L’Institution des Sourds de Montréal ferme ses portes. La jeune population fréquentant ce lieu d’enseignement à caractère suprarégional est orientée vers diverses écoles publiques. À première vue, cela apparaît catastrophique sur le plan de l’annonce du kérygme. Quelle suite donner à l’annonce de l’évangile en milieu de surdité?
On a commencé par un appel à fonder la Maison de la Foi au service du monde de la surdité. Obéissance de quelques-uns au murmure de l’Esprit qui inspire de rendre visible la Parole de Dieu aux personnes privées du sens de l’ouïe. Voix ténue, mais bien réelle qui dit : « Faites tout ce qu’il vous dira » (Jn 2,3).
Mais encore faut-il se fier au don pour trouver et former une équipe de bénévoles prête à accompagner le cheminement de foi, désireuse d’en transmettre les références bibliques et aptes à communiquer en LSQ (Langage des Sourds du Québec).
Cette problématique découle de deux événements qui sont venus mettre un terme à la transmission d’origine : la sortie massive des milieux institutionnels d’enseignement dont l’avantage a été de réintégrer le quartier, puis la famille et la laïcisation de la société québécoise.
Une diaspora est venue briser l’efficacité d’un réseau interne utile à l’échange des savoirs. Cette sévère coupure de sources propres à collaborer à l’acquisition de connaissances des contenus de la foi et utiles à la proposition du kérygme a anéanti les occasions de faire des chrétiens et de les accompagner sur les sentiers de la vie.
Pendant ce temps, devant la désertion des lieux de culte, la société québécoise, aidée par la réflexion des théologiens et du collège des évêques du Canada, s’est interrogée. Une révision en profondeur des pensées et actions pastorales s’est amorcée ayant pour principal bénéfice le passage du mode de l’imposition du kérygme à celui de la proposition.
Dans le sillage des inspirations du concile Vatican II, on a réalisé que la transmission devenait la responsabilité de tous les baptisés les appelant à un engagement mature et libre.
Voilà qui modifie en profondeur, l’approche des agents de pastorale. Indéniablement, le mode d’accompagnement de ces derniers invitait à une ouverture toute nouvelle : accompagner l’expérience existentielle des individus et des collectifs sur une base permanente et dans un contexte intergénérationnel. Cela allait élargir la perspective.
La catéchèse ne s’adressait plus en exclusivité aux enfants dans un créneau de demande de sacrements, mais devenait affaire de tous dans des parcours de la durée de la vie.
« Sur vos routes anciennes, les pavés sont usés. Marchez sur les nouvelles ou bien restez cachés car le monde et les temps changent » (Hugues Aufray).
À la Maison de la Foi, nous avons ciblé un accompagnement au plus près de la vie quotidienne. Au lieu de faire venir les chrétiens sourds pour célébrer la vie et la foi, nous nous déplaçons dans les divers centres de loisirs où se rassemblent les gens selon leur région respective.
Nous passons une bonne partie de la journée avec la communauté, vivant avec elle le rassemblement profane précédé de la célébration eucharistique et souvent du repas communautaire.
La liturgie s’enrichit d’une catéchèse impliquant indifféremment tous les groupes d’âge en présence. Nous misons sur la plus grande participation possible de tous et laissons de plus en plus de place à la prise de parole des personnes sourdes.
Cette démarche prend parfois le chemin d’homélies-partages et de gestes signifiants qui encouragent à témoigner de sa foi.
Nous respectons le choix des personnes de s’éloigner de la paroisse, voyant que l’Église actuelle n’a rien à offrir en termes d’adaptation ou d’accessibilité à la Parole de Dieu et à la liturgie. Partant de là, lors du décès d’un membre de l’une ou l’autre des communautés chrétiennes, nous pallions l’absence de célébration religieuse à l’église.
L’équipe se déplace pour soutenir les familles endeuillées au salon funéraire en les invitant à participer à une longue célébration de la parole inculturée, donc inspirante, signifiante et surtout rassembleuse. Par la suite, les proches parents sont invités, selon leur disponibilité et leur intérêt, à venir, à un moment ou l’autre, célébrer l’eucharistie avec nous à la Maison de la Foi. Cela stimule les confidences autour d’une boisson chaude ou froide et quelques biscuits.
Beaucoup se sont dits touchés en ces instants. Aussi, nous ambitionnons, sans négliger nos communautés existantes, à former un petit groupe de priants-sourds-entendants qui partagerait le pain de vie sur une base plus fréquente tout en partageant le trésor de leur vécu existentiel en échos avec la Parole de Dieu proclamée.
Une parole qui tient compte des préoccupations des sourds qui veulent s’élever de plus en plus dans leur autonomie et dans la reconnaissance de leur langue. Ce qui nous amènera à penser des activités de croissance tant humaines que spirituelles, afin que ces derniers puissent trouver en eux ce qui les anime et nous anime.
Comme il est dit dans la constitution des Clercs de Saint-Viateur, les Viateurs ont à…
« Témoigner de la priorité de l’Évangile dans la formation de l’homme et la construction du monde ».
À plus forte raison, il nous est demandé, sensibles aux laissés-pour-compte de notre temps, de continuer à offrir un espace aux personnes sourdes de nos milieux et s’outiller de mieux en mieux afin de susciter des chrétiens selon le cœur de Dieu.
Source :
Viateurs en mission – Décembre 2016 – No 8 (PDF).