Lettre à mes confrères originaires d’Haïti et d’Afrique
J’ai pensé vous raconter une belle histoire qui met en vive lumière la vie des Clercs de Saint-Viateur du Canada, il y a cent ans.
À l’école Saint-Jean-Baptiste1 de Montréal, parmi la vingtaine de religieux engagés auprès d’un millier d’écoliers, le frère Louis Gosselin se dépensait sans compter. C’était un religieux modeste, épris de musique et de lettres, un vrai « fan » de la langue française.
En mil neuf cent treize, ayant appris qu’un Premier congrès de la langue française au Canada allait se tenir à Lévis, en face de Québec, il se prit à rêver d’y prendre une part active. Il en avait même soufflé mot dans sa famille puisqu’un neveu généreux lui fit parvenir l’argent pour le voyage Montréal-Québec.
Hélas! Le temps venu, son nom n’était pas sur la liste de nos délégués. Grandement contrarié, c’est en faisant appel à sa foi vive qu’il retrouva la sérénité. Et c’est pour s’excuser auprès de son neveu qu’il composa pour lui une parodie de La lettre du Gabier de Théodore Botrel :
J’ai bien reçu, mon cher enfant,
Ta bonne lettre et tout l’argent
Qu’elle contient à mon adresse.
Et c’est pour te dire merci,
Que je t’adresse la lettre-ci,
Avec tendresse.
Paraît qu’on n’verra pas l’congrès,
J’en ai le cœur gros de regrets.
Mais que veux-tu… c’est la consigne?
Je ne suis qu’un simple soldat
Pour servir Dieu, le Roi, l’État,
Au moindre signe.
Qu’au temple saint comme au foyer,
Que de l’école à l’atelier,
Résonne la bonne parlure.
Ses mots, il faut les caresser,
Redire, chanter et baiser,
Là, sans mesure!
Gloire au parler de nos aïeux,
Parler des vaillants et des preux,
Parler de splendeur souveraine.
Aimons-le d’un amour jaloux,
Il est si fier, il est si doux, Dieu le maintienne.
Ici je finis ma chanson,
Qui n’est que la contrefaçon,
D’une touchante poésie.
Botrel n’en saura jamais rien,
Il en dirait trop peu de bien,
Par jalousie!
Quelle humilité, quelle générosité, quelle simplicité! Toutes « vertus ordinaires » prônées par notre fondateur, le Père Louis Querbes.
Mais le F. Gosselin se trompait! Botrel l’apprit par un ami. Et c’est avec humour qu’il griffonna au bas d’une lettre :
L’ami canadien a raison
De vous dire que sa chanson
M’étranglerait de jalousie.
C’est vrai, je suis jaloux, hélas!
L’original ne valant pas
La parodie.
C’est ainsi que les Clercs de Saint-Viateur du Canada vivaient pauvrement, modestement, vaillamment, en servant Dieu, l’Église et l’État, il y a cent ans.
Joseph Bourassa, c.s.v.
Mai, 2014