Confiants en sa Parole, Viateurs, osons jeter les filets !

Message de lancement de l’année pastorale 2016-2017
Aux Viateurs de la province du Canada

« Confiants en sa Parole, Viateurs, osons jeter les filets » Lc 5,1-11

« Confiants en sa Parole, Viateurs, osons jeter les filets »Chers Viateurs,

Le 17 décembre 1816, en compagnie de huit autres camarades. Il écrit ceci :

« Le défi, en effet, est de trouver de nouvelles voies pour sortir de ce schéma (NDLR : de néo-chrétienté), incompatible avec la réalité et les urgences du monde. Il nous faut renouer avec l’évangile, avec nos origines minoritaires, martyres et prophétiques… »

Comme Viateurs, la mission représente l’un des piliers sur lesquels se fonde notre identité. C’est un trait d’union qui cimente notre appartenance à la grande famille initiée par le P. Louis Querbes. Il est urgent que nous regardions la réalité avec notre loupe d’annonciateurs de la bonne Nouvelle de Jésus.

Comment sommes-nous appelés à vivre cette mission dans nos différents milieux de vie et d’action? Comment pouvons-nous répondre communautairement aux nouveaux défis du monde d’aujourd’hui? Quel est ce carrefour par lequel tous nos chemins viendront se croiser et d’où nous pourrons repartir en nous donnant un seul mot d’ordre?

Si l’assemblée des Viateurs à Madrid au cours du mois de novembre peut apporter cette étincelle qui permettra de maintenir la flamme de notre mission viatorienne, nous serons la communauté la plus emballante et la plus pertinente dans une Église qui a besoin de retrouver ses repères.

Au cœur des défis : réinventer la communauté des Viateurs

L’assemblée générale de la Conférence religieuse canadienne du mois de mai dernier invitait les communautés à « discerner l’espérance » au cœur des immenses défis qui se posent aujourd’hui à la vie religieuse et à la foi en général. Défi du vieillissement, du sens de la vie, du témoignage, de la maladie, de la mort, de la foi, de la fidélité etc.

Dans cette ligne, la lettre pastorale « Appelés à la fidélité » de notre Supérieur général, où toute la communauté est invitée à un repositionnement, trouve tout son sens :

« L’appartenance se joue désormais au cœur d’un mouvement qui replace constamment la personne humaine devant ses choix. En conséquence, la fidélité ne se présente plus uniquement sous l’angle de la persistance dans un choix antérieur fait, décision intouchable, mais dans un processus continuel de questionnement qui amène les gens à toujours ressaisir leurs choix au cœur d’une vie qui n’a de cesse de remettre en cause ses lieux de cohérence… »1

Nous avons des choix à faire pour parvenir à cette fidélité au charisme de notre fondation viatorienne. Nous devons briser les cycles de la peur et accepter d’être dérangés dans nos convictions trop profondément enracinées dans une tradition sclérosée.

Nous devons réinventer notre communauté non pas en chambardant toutes les normes et toutes les structures mais en étant à l’écoute de notre temps et de notre monde.

Il est à se demander comment le P. Querbes répondrait aux défis qui se présentent à nous aujourd’hui aux quatre coins de la province du Canada? Que des, Monsieur Louis Querbes, par les mains de Mgr Dubourg, entra dans l’ordre des prêtres. Le reste de sa vie en sera marqué.

Toutes ses initiatives porteront l’empreinte d’un prêtre au service de la Parole et soucieux de l’éducation chrétienne de ceux et celles qui étaient confiés à ses soins spirituels. Le fondateur de la communauté de Saint-Viateur sera un vrai missionnaire au long de ses années de ministère sacerdotal.

L’axe autour duquel sera articulé ce message pastoral est précisément celui de notre mission viatorienne pour aujourd’hui. N’est-ce pas le Pape François qui disait :

« Nous sommes appelés à renouveler notre choix de servir dans une Église missionnaire. »?2

En entrant dans cette perspective de la vocation missionnaire de notre communauté, nous nous mettrons, du même coup, à la recherche de voies et moyens qui nous permettront de répondre à l’appel que le Seigneur nous lance à « jeter les filets. »

La figure du Père Querbes comme pasteur et visionnaire nous aidera à mieux saisir notre identité viatorienne et nous entrainera sur des chemins qui nous feront réinventer notre communauté dans l’aujourd’hui du monde et de l’Église. Ainsi nous pourrons, en dépit des échecs, des agitations et des pêches infructueuses, relancer notre barque sur les eaux de la vie en étant rassurés par la parole du Maître.

Querbes, Pasteur et visionnaire

Né au lendemain de la Révolution française, le P. Querbes a connu les turbulences créées par ce grand mouvement social et politique. Cette période marquée par de grandes rivalités était témoin de la survolte de certains esprits, de l’assujetissement de certains membres du clergé et de la persécution de certains autres. La tâche d’évangélisation était difficile. Elle relevait d’exploits, d’ingéniosité et de persévérance à toute épreuve.

Quand le P. Querbes arriva comme curé de Vourles en 1822, la situation de la paroisse était loin d’être reluisante. La mentalité des paroissiens n’était pas acquise aux valeurs de foi. En bon pasteur, le nouveau curé ne tarda pas à s’attaquer à ce problème de fond.

“Le curé de Vourles était conscient que, pour refaire durablement une mentalité chrétienne, l’éducation des enfants est primordiale. C’est par la formation de plusieurs générations successives que se crée ou se recrée un esprit, une mentalité, une vie…”3

Dès 1823, il confia l’éducation des filles de sa paroisse aux Sœurs de St-Charles. Ne pouvant trouver un religieux pour s’occuper de l’éducation des garçons de l’école paroissiale, il décide de “faire de son mieux”. C’est ainsi qu’il jeta les bases de son association. Près de deux siècles plus tard, sa vision et son intuition perdurent. Il nous incombe à nous Viateurs de continuer à marcher sur ses erres et d’avancer.

Par la mission, retrouver notre identité

Aujourd’hui notre monde se trouve au cœur de batailles identitaires. Dans certains milieux politiques, on pose des balises en instituant des « chartes de valeurs » ou en votant des lois pare-feu pour se prémunir contre des intrusions de coutumes étrangères. La tentation du repli sur soi, de l’intolérance et de l’enfermement est bien réelle. Certains prônent la fermeture des frontières ou l’érection de mur de protection.

Sur le plan ecclésial, on voit s’agiter un mouvement de retour à des pratiques qui rappellent un passé de conquêtes et de domination. Dans le monde occidental, en particulier, l’Église est reléguée à un rôle de comparse.

Le Père Simon-Pierre Arnold parle de « l’urgence de penser et de créer un nouveau style de présence au monde »pourrons-nous apporter afin de réinventer la communauté viatorienne aujourd’hui?4

Il nous faut être capables d’ouverture et de souplesse, de reconnaissance de nos forces et de nos limites sans amalgame ni exclusive en assumant pleinement nos différences et nos spécificités. Simplement reconnaître que chacun est un maillon dans la chaîne de la communauté. Placé au début, au milieu ou à la fin, chaque maillon contribue à donner de l’extension à la chaine, à déterminer sa longueur et le profit qui peut en être retiré.

Luc 5, 1-11

Un jour, Jésus se trouvait sur le bord du lac de Génésareth; la foule se pressait autour de lui pour écouter la parole de Dieu. Il vit deux barques amarrées au bord du lac; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Jésus monta dans une des barques, qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’éloigner un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait la foule. Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez les filets pour prendre du poisson. » Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre; mais, sur ton ordre, je vais jeter les filets. » Ils le firent, et ils prirent une telle quantité de poissons que leurs filets se déchiraient. Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient. À cette vue, Simon-Pierre tomba aux pieds de Jésus, en disant : « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur. » L’effroi, en effet, l’avait saisi, lui et ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient prise; et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, ses compagnons. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.

Le conseil provincial a choisi de proposer ce récit de la pêche miraculeuse à la réflexion de toute la communauté des Viateurs au cours de cette année pastorale 2016-2017. L’invitation adressée par Jésus à ces pêcheurs du lac de Génésareth et le cri du cœur de Simon font directement écho à notre réalité viatorienne aujourd’hui. Alors comment ne pas réitérer notre confiance en Celui qui oriente notre barque communautaire?

« Confiants en sa Parole, Viateurs, osons jeter les filets. ».

Tel sera notre leitmotiv pour répondre à notre vocation baptismale et notre mission viatorienne.

« Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre »

Dans mon message pastoral de l’année écoulée, j’évoquais, à l’instar de François, la nécessité pour notre communauté d’« embrasser l’avenir avec espérance ». Et j’écrivais :

« C’est le défi de toute notre communauté, le défi de notre province viatorienne du Canada. Avenir et Espérance nous interpellent, suscitent notre réflexion et sollicitent notre engagement. Nous vivons des moments hautement cruciaux dans l’histoire de notre communauté. »5

À entendre ce récit de la pêche miraculeuse, nous serions portés aujourd’hui à crier comme Simon : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre. »

Constat d’échec, désillusion, fatigue d’une nuit infructueuse, il ne restait plus à Simon et ses compagnons que le découragement et l’envie de tout abandonner quand Jésus leur lança l’invitation à avancer au large et à jeter les filets en plein jour, eux qui étaient des pêcheurs expérimentés.

Dans notre communauté et en Église nous connaissons ces genres d’expériences pénibles et déconcertants. Beaucoup se sont sacrifiés durant de longues années et éprouvent, au soir de leur vie, un sentiment d’échec et d’injustice, incapables de voir les fruits de leurs luttes hautement menées. Face à ces réalités nous sommes tentés de démissionner et de rester repliés dans notre coin.

Cette crise nous fait prendre conscience de notre fragilité. En même temps, elle nous éveille à quelque chose de plus grand et de plus profond. Notre Dieu est le Dieu de l’impossible qui nous demande de marcher même quand nos pas sont lents et lourds.

Mais sur ton ordre (à ta parole!)

Dans la prière du Jubilé de la Miséricorde, le pape François nous invite à cette reconnexion. Il nous fait prendre conscience que la main de Dieu agit même au plus fort de la nuit :

« Fais que chacun de nous écoute cette parole dite à la Samaritaine comme si elle s’adressait à nous : si tu savais le don de Dieu! »6

La Parole de Jésus est toujours porteuse de vie et de renouveau. Il n’y a pas une intervention du Christ qui n’aboutisse à une transformation de celui ou de celle à qui il l’adresse. Parole puissante et libératrice, elle nous met toujours en action quelle que soit notre situation.

Relisons l’histoire de toutes ces personnes qui ont côtoyé Jésus et qui ont obéi à sa Parole. Toujours elles en sont sorties renouvelées et guéries de leurs maux.

C’est pour nous, Viateurs, une invitation à nous approcher de cette Parole qui opère des changements et qui est garante de succès.

Le vrai miracle dans ce qui nous est rapporté dans l’évangile n’est pas que les filets soient remplis au point où les deux barques s’enfonçaient, mais bien que, sur la parole du Christ, Simon ait accepté de faire confiance, d’avancer en eau profonde et de recommencer à pêcher.

Sur l’ordre de Jésus, Simon-Pierre et ses compagnons ont repris courage et ont mis le peu d’énergie qui leur restait après une nuit sans sommeil à exécuter la recommandation à jeter de nouveau les filets. Voilà la mission à laquelle nous sommes appelés.

Viateurs, osons jeter les filets

Plusieurs se demanderont à coup sûr, comment peut-on jeter les filets aujourd’hui alors que nous sommes à bout de force, épuisés, malades, sans énergie?.

Comment peut-on jeter les filets quand nous n’avons même pas la force de les soulever?

N’était-ce pas la réalité des pêcheurs de Galilée au matin de cette pêche stérile? Nul doute qu’ils auraient pu dire à Jésus leur ras-le-bol, leur besoin d’un bon repos et leur peu d’enthousiasme à recommencer une histoire dont ils sont assurés de l’échec. Ils ont pourtant osé jeter leurs filets une nouvelle fois.

Qu’est-ce pour nous aujourd’hui « oser jeter les filets »?

J’apprécie particulièrement le thème que le SPV a choisi de se donner pour l’année 2016-2017 : « Ouvrons nos portes! L’espoir est dans les rues! »

Oser jeter les filets, c’est accepter de sortir de soi et d’ouvrir nos portes «au dialogue, à la différence, à la simplicité, à la tendresse de Dieu, à la beauté de la terre. »7

Certaines personnes s’imagineront que « jeter les filets » ne réfère strictement qu’à une perspective de ramener beaucoup de monde et particulièrement des religieux dans la Congrégation. Ce serait demeurer sous l’effet d’une pensée magique et d’un angélisme infondés.

Nous devons regarder la réalité en face et comprendre que nous ne pouvons pas nous opposer au cours du temps. Il nous faut trouver d’autres manières d’être et de faire la communauté.

Dans son ouvrage sur les idées qui préoccupent le monde de la vie religieuse aujourd’hui, Marie-Laure Durand écrit :

« Si le religieux du futur opte pour un spirituel excité, émotionnel, menaçant, belliqueux, hautain ou déconnecté des préoccupations matérielles et des détails de l’existence, il va droit au mur. »8

J’invite tous les Viateurs à une nouvelle aventure missionnaire. Une aventure qui nous conduira sur les chemins de l’écoute, de la proximité, de l’entraide, de l’ouverture à l’autre…

« Confiants en sa Parole, Viateurs, osons jeter les filets »

Soyons à l’écoute de la Parole de Celui qui peut indiquer la bonne direction à notre barque communautaire.

Soyons attentifs à ce que vivent des hommes et des femmes désemparés, découragés et assoiffés d’une parole ou d’un geste qui relève et réchauffe.

Soyons à l’éveil de la vie et à l’éclosion de l’amour.

Soyons tout simplement disciples du Christ et apôtres d’un évangile de bonheur!

En conclusion

Je voudrais, en concluant ce message, reprendre cette prière inspirée d’un texte du cardinal Etchegaray et qui nous invite à garder l’attitude de missionnaires et de serviteurs. Puisse chaque Viateur retrouver le sens de son appartenance et de son engagement à la mission viatorienne.

Seigneur, nous sommes les serviteurs d’une Parole qui ne vient pas de nous et nous croyons à son efficacité.

Seigneur, nous sommes les serviteurs d’une Vie qui ne dépend ni de la chair ni du sang, mais de la fidélité à ton Esprit, et nous croyons que cet Esprit est à l’œuvre dans le cœur de tous les hommes et de toutes les femmes.

Seigneur, nous sommes les serviteurs d’un projet dont nous ne sommes pas les maîtres et que nous découvrons jour après jour, pas à pas, mais nous croyons que tu es surtout le maître de l’imprévisible.

Seigneur, apprends-nous à ne pas nous encombrer de questions sur notre crédibilité, nos priorités, notre identité, mais à goûter tout simplement la saveur de ta Bonne Nouvelle, prêchée sur la margelle d’un puits où viennent de plus en plus d’assoiffés.

Seigneur, apprends-nous à vivre notre mission, non comme une fonction essoufflante et exposée à l’échec, mais comme un signe, pauvre et humble, qui se contente de te montrer du doigt pour que le peuple chrétien n’oublie pas de quel amour il est habité, de quelle mission il est investi

Seigneur, que ta Grâce assiste tous les Viateurs dans nos différents lieux de rencontres, d’échanges et de mission afin que nous discernions ta Volonté au milieu de nos tempêtes et de nos pêches stériles;

Que ton Esprit nous inspire dans nos projets, nos décisions et dans leur application. Amen !

Nestor Fils-Aimé, CSV
Supérieur provincial9

  1. P. Alain Ambeault, CSV, supérieur général; Lettre pastorale, juin 2016.
  2. Pape François, Homélie du 3 novembre 2015.
  3. Bonnafous, R., Louis Querbes et les catéchistes de Saint-Viateur, Mediaspaul, Paris, 1993, p. 46
  4. P. Simon-Pierre Arnold, OSB; Conférence pour l’assemblée générale 2016 de la CRC.
  5. P. Nestor Fils-Aimé, CSV : Message pastoral du 5 septembre 2015 à la province du Canada.
  6. Pape François, Prière du Jubilé de la Miséricorde.
  7. Mot du Responsable général du SPV, Jean-Marc Saint-Jacques, CSV à la session d’animation au lac Ouimet (26-28 août 2016).
  8. DURAND, M-L., Dix idées bizarres sur la vie religieuse, Médiaspaul, Paris, 2015
  9. Le 1er septembre 2016, en ce 157e anniversaire de la pâque du P. Querbes et l’année du bicentenaire de son ordination presbytérale.

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