Misère des petites écoles
Source :
Courrier Querbes – Printemps 2013 – VIII,3 (PDF).
Situation des petites écoles
Ce qui pousse le P. Querbes à fonder son institut, c’est la rareté des écoles élémentaires dans les campagnes et la piètre qualité de la plupart des maîtres qui les tiennent. Bien sûr, les saccages de la Révolution n’ont pas aidé, mais même Napoléon, qui s’occupe des lycées où il recrute son personnel, oublie les écoles primaires, sauf le jour où il rétablit les Frères des Écoles chrétiennes. Mais comme il n’est pas question chez eux d’envoyer moins de trois frères enseigner au même endroit, ils limitent leur présence au seul milieu urbain.
Les écoles rurales, elles, sont laissées pour compte et l’argent ne foisonne pas. Mgr Christiani évalue à 10,859 le nombre de communes sans école en 1833 sur un total d’environ 38,000. Les postes d’instituteur y sont encore plus mal payés qu’en ville et n’attirent guère que les mercenaires.
Et cette situation n’est pas due, comme on pourrait croire, aux seuls ravages de la Révolution. En réalité, la situation des petites écoles n’était pas plus florissante sous l’Ancien Régime.
Le décrochage scolaire dans les campagnes
Certes, les déclarations royales du 13 décembre 1698 sous Louis XIV et du 14 mai 1724 sous Louis XV obligent tous les jeunes de 14 ans et moins à fréquenter l’école, mais cette résolution ne connaît pas de suites sur le terrain. L’opinion répandue en ce Siècle dit des lumières va même en sens contraire. La prospérité du pays dépend de la production de biens matériels.
C’est dire que la France a surtout besoin de bras, que ce soit à la ferme ou à l’atelier. On encourage les jeunes campagnards à perpétuer le métier de leur père plutôt qu’à fréquenter l’école qui risque de les distraire de leur devoir patrimonial et de les voir succomber à la tentation de venir grossir le rang des parasites qui encombrent les villes.
« Gueux ignorants » vs « bourgeois instruits »
Les grands penseurs de l’époque défendent sensiblement la même position. Voltaire appuie l’opinion de son ami Le Charolais qui dit que « le bien de la société demande que les connaissances du peuple ne s’étendent pas plus loin que ses occupations ».
Le patriarche de Fernay s’affiche en défenseur des opprimés, ce qui ne l’empêche pas d’affirmer à un correspondant qu’il lui « paraît essentiel qu’il y ait des gueux ignorants ». « Si vous faisiez valoir comme moi une terre, et si vous aviez des charrues, vous seriez bien de mon avis. Ce n’est pas le manœuvre qu’il faut instruire, c’est le bon bourgeois, l’habitant des villes. »
Jean-Jacques Rousseau penche du même côté, mais pour une autre raison. À son avis, l’éducation éloigne l’homme de l’état de nature; elle tend à le corrompre. « Ceux qui sont destinés à vivre dans la simplicité champêtre n’ont pas besoin pour être heureux du développement de leur faculté, et leurs talents enfouis sont comme les mines d’or du Valais que le bien public ne permet pas qu’on exploite. »
Des « écoles de charité » ou publiques
À Rennes, en 1754, la municipalité s’oppose à ce qu’on crée des écoles de charité. « L’utilité de l’érection d’une école publique, y soutient-on, se réduit à apprendre à lire et à écrire aux enfants des pauvres artisans. C’est en cela même porter un coup mortel au commerce civil et à l’ordre politique qui le maintient; les enfants passent à apprendre à lire et à écrire le temps d’un apprentissage beaucoup plus utile, c’est-à-dire celui de la profession de leur père. Savent-ils lire et écrire : ils se dégoûtent des métiers mécaniques et veulent à la faveur de cette éducation manquée s’élever à un état plus honorable. »
Le droit à l’éducation?
Certains, comme Diderot, il est vrai, encouragent l’instruction, mais selon une visée politique partisane, pour qu’elle développe le sens critique des jeunes et leur permette de se libérer de la tyrannie des rois et des clercs. Mais cette opinion ne trouve guère d’appui. Quoi qu’il en soit, faut-il tant se surprendre si, en 1789, dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, il n’est fait aucune mention du droit à l’éducation?
L’éducation, la responsabilité de l’Église et du clergé
Ce n’est évidemment pas la position de l’Église qui, dans la foulée du concile de Trente, attend depuis longtemps du clergé qu’il veille à l’éducation des jeunes, pour leur enseigner les bases de la religion, bien sûr, mais aussi pour leur apprendre à lire, à écrire, à compter et à mener une vie morale respectable.
Les écoles primaires qui existent sont maintenues à bout de bras par les parents, aidés dans les meilleurs cas par des bienfaiteurs. Ce qui se fait de plus sérieux en matière d’enseignement relève du secteur privé. Les quelques tentatives du secteur public, promues souvent par des libres-penseurs, ne mènent pas loin. On en viendra à penser, au temps du Rapport Fallou (1851), que l’éducation sans l’apport de la religion n’a pas d’avenir.