L’Église d’ici et d’ailleurs : son avenir

Cet article est tiré du site Catéchèse / Ressources.

Normand Provencher, Il n’est pas trop tard! Présent et avenir de l’Église d’ici, Novalis 2015, 107 pages.

Une réflexion décapante

L’Église est en crise, du moins celle du Québec. Il y a une douzaine d’années, le théologien Normand Provencher avait publié un petit livre choc intitulé Trop tard ?

Il n'est pas trop tard !À mots à peine couverts, il y dénonçait les dérives d’une Église plus encline à se tourner vers son passé qu’à se retrousser les manches pour gérer son présent.

Des changements s’imposaient, mais, tout semblait bloqué. Devant l’urgence de la situation, Provencher se demandait, résigné, s’il n’était pas trop tard. Mais c’est un optimiste. L’arrivée du Pape François a changé la donne. Il ne serait pas trop tard, mais, on s’en doute bien, à certaines conditions.

Ici, la réflexion de Normand Provencher est à la fois précieuse, mais peut-être davantage décapante. Il a enseigné longtemps la théologie systématique. En quelques pages, il soulève des questions essentielles et interroge du coup nos pratiques actuelles. Il y va aussi de suggestions propres à alimenter la réflexion.

Le déclin de la « civilisation paroissiale »

Pour l’auteur, l’effondrement de la pratique religieuse, du moins au Québec, marque aussi, ce qui est plus grave, le déclin de ce qu’il appelle la « civilisation paroissiale ».

Or il observe que beaucoup d’efforts sont consacrés aux regroupements des paroisses laissant souvent les difficultés financières dicter les réaménagements.

Provencher se fait alors un critique sévère en affirmant qu’« un ensemble regroupé de paroisses en déclin ne fait pas nécessairement une Église plus vivante et plus missionnaire ».

Des solutions nouvelles

Le jugement est sévère, mais ne met que davantage en évidence le fait que les pasteurs ont devant eux un monde tout à fait nouveau. Ceux qui se disent encore chrétiens ne correspondent plus au modèle traditionnel. Souvent l’encadrement paroissial ne répond pas davantage à leurs besoins. Du coup, la recherche de solutions nouvelles s’impose.

Créer des lieux d’expérimentation

CommunautésÀ titre d’exemple, Provencher remarque que trop d’efforts sont faits pour assurer des messes dominicales en fonction des clochers alors qu’ils devraient l’être en fonction des communautés. Et ici, il se fait audacieux. Il suggère de « créer des laboratoires » ou des lieux d’expérimentation.

S’inspirant de Joseph Moingt, il propose même que puisse être célébrée dans des petits regroupements une certaine forme d’eucharistie. En cela il se dit rejoindre Edouard Schillebeeck qui, au temps du concile, avait évoqué la pratique d’une « eucharistie domestique sans ministre ordonné ».

La pastorale cléricale

Pour Provencher, « nous sommes à récolter les fruits d’une pastorale confiée uniquement au clergé et cela, depuis des siècles ». Or le clergé a plus que vieilli et la cote d’alerte est dépassée depuis longtemps, si bien qu’il est facile de constater que la diminution des prêtres signifie automatiquement la diminution des services pastoraux.

Le clergé venu d’ailleurs

Mais que penser de la solution miracle? L’auteur n’est pas sans remettre en question l’arrivée importante d’un clergé venu des jeunes Églises. Il se demande d’abord, s’il est honnête de les priver d’une telle ressource particulièrement lorsque les candidats ont poursuivi des études supérieures.

Ensuite il fait remarquer avec pertinence que ce clergé venu d’ailleurs « aide à maintenir pour un temps l’actuel système pastoral tout en retardant la valorisation de nouvelles manières ».

Le binôme clercs-laïcs

Tout en rappelant que « le binôme clercs-laïcs ne se trouve pas dans les écrits du Nouveau Testament ni dans les témoignages des chrétiens des trois premiers siècles », l’auteur soulève à nouveau tout le débat entourant les responsabilités, les services et les ministères dans l’Église et surtout leur harmonisation.

Il n’est pas sans faire remarquer que « des laïcs, hommes et femmes, exercent concrètement des fonctions de clercs, même de pasteurs, sans être ordonnés. Pourquoi alors l’Église ne les ordonnerait-elle pas? »

D’ailleurs il ne manque pas de soulever la grave ambiguïté qui existe entre l’affirmation faisant de l’Eucharistie « une source et un sommet » et la pratique de l’Église qui ne se donne pas les moyens de la célébrer.

Il n’omet pas également de rappeler que dans les faits, « les femmes exercent la “diaconie” dans l’Église sans avoir reçu l’imposition des mains » et qu’on ne pourra « réussir des recommencements évangéliques » sans leur concours.

La vocation au presbytérat

Si les laïcs engagés en pastorale ne sont pas des « clercs de deuxième classe », c’est toute la théologie de la vocation au presbytérat qui est à revoir. Dans la même foulée, l’auteur voit là un appel pressant à « initier les prêtres à une façon différente de vivre leur propre ministère ».

Communication : le message ne passe plus

Provencher n’est pas sans constater une indéniable recherche de spiritualité chez nos contemporains. Mais son diagnostic est sans nuance. L’Église d’ici n’arrive plus à communiquer adéquatement. « Ça ne passe plus! » écrit-il, si bien que « la transmission de la foi est en panne ». Il voit l’urgence de repenser et de rendre intelligible la foi chrétienne aux gens d’aujourd’hui et d’ici.

Certes on accorde encore parfois, « un oui timide à Jésus », mais devant l’Église, c’est de plus en plus « un non sans équivoque ». Il déplore que trop souvent l’enseignement officiel « écrase le cœur de l’évangile par trop d’idées ».

Une Église plus spirituelle

L’Église doit devenir plus « spirituelle », plus « mystique » et « faciliter l’expérience de la rencontre avec Dieu et son amour, plutôt que s’en tenir au respect à tout prix des rubriques et des directives officielles ».

Des expériences de rencontre

Petite communautéCeci dit, l’auteur en profite pour à nouveau réfléchir sur la notion de communauté, espace premier de la transmission de la foi qui, tient-il à préciser, ne peut se vivre que dans une expérience de rencontre.

Il ne s’agit pas d’abord de partager des idées sur Dieu. « On ne transmet pas une amitié, mais seulement la possibilité d’une rencontre » note-t-il, ce qui pose l’importance de favoriser des rendez-vous avec le Dieu vivant.

Revisiter nos pratiques

Ici, il se fait sévère et questionnant en ce qui concerne la célébration des sacrements aussi bien celle l’eucharistie que de la réconciliation. Parviennent-elles à répondre au besoin d’intériorité et de vérité qu’elles se proposent d’offrir? Pourtant, elles constituent « des occasions privilégiées d’ouverture au mystère et aux réalités spirituelles ». Ici aussi nos pratiques sont à revisiter.

Retour à l’Évangile

L’analyse peut sembler sombre, mais Normand Provencher rappelle que la perspective d’une nouvelle évangélisation dont on parle depuis près de quarante ans n’attend que les semeurs et qu’ils se mettent à l’œuvre. Et il n’est pas sans espérance :

« Semer est un geste de confiance, c’est comme donner la vie. Dans l’Église d’ici, le temps des semailles est arrivé : il n’est pas trop tard. Nous ne manquons pas de semence de première qualité : le message de Jésus, qui est force discrète, pleine de promesses d’avenir. Par bonheur, il y a encore beaucoup de bonne terre, tout près de nous, mais elle est le plus souvent à l’abandon et en friche ».

Faire Église autrement

Certes, il y a là un appel déterminant à faire Église autrement dans un souci renouvelé d’être « proche des gens » et de leur « faire entendre l’Évangile dans toute sa fraîcheur ». Cependant cela requiert une pédagogie du changement sans laquelle ne pourra s’instaurer une ecclésiologie renouvelée à la manière de Vatican II.

Refaire le tissu chrétien

L’auteur conclut en rappelant que Jésus « n’a laissé ni Credo, ni code de lois, ni rituels, mais plutôt une manière de vivre en relation avec les autres ». C’est là que prend racine le primat de la communauté et l’appel pressant qui nous est fait de « refaire le tissu chrétien de la société humaine .»

Provencher nous laisse sur ce mot de Maurice Bellet :

« Si Dieu est Dieu, il a bien le droit d’être où Il veut et quand Il veut, tout à fait en dehors de nos discours sur Lui, de nos piétés, de nos rites, de nos savoirs ». (Le Dieu sauvage)

Un livre à lire et à méditer seul et en petit groupe !

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